Depuis début septembre, je fais fonction d’interne dans un hôpital de quartier, aussi connu sous le terme de dispensaire, ou “sbitar sghir” pour les intimes, et ce dans un douar pas loin de Marrakech. Ça fait donc 20 jours que je me dis “je dois absolument écrire ça” et que je ne le fais pas, et puis aujourd’hui je m’y suis mise. Alors voilà un peu ou je vis
Tout d’abord, mon Douar est génial. Population pauvre, environnement insalubre, les gens sont impossibles, mais ils ADORENT venir à l'hôpital. Chaque matin, les bonnes dames du quartier déposent leurs rejetons à l’école, mettent sur leur dos ceux qui sont trop petits pour y aller, et se donnent rendez vous au dispensaire prendre leur stock de médicament.
Parce que oui, la deuxième chose que les gens de mon douar aiment plus que l’hôpital, c’est les médicaments. Je n’arrive pas à comprendre, est ce qu’ils prennent ça pour des bonbons, les font passer pour des psychotropes et les revendent, les utilisent pour des recettes de sorcellerie locale (passe temps favori des gens de mon douar)...? Aucune idée. Tout ce que je sais, c’est qu’ils se passent le mot, et chaque jour c’est la même symptomatologie que je retrouve chez 23 femmes à la suite “Docteur, j’ai mal de là (fesse) à là (moitié de la face externe de la jambe)” alors moi, je cherche la sciatique,ou autre névralgie et je pose la question “ça ne va pas plus loin? un peu plus bas, vers le pied, l’orteil? “ non non ça s'arrête pile au même endroit, même jambe pour la femme devant moi, qui ressort avec un anti-inflammatoire rose tout joli, et les 22 qui suivent , à qui elle a expliqué qu’il faut “faire attention si le docteur te demande si ça va plus loin tu dis surtout non, sinon t’auras pas de médicament” comme si le médicament était la récompense à une bonne réponse.
Bien sûre, il y a les autres, qui n’ont vraiment rien, et n’arrivent à mimer aucune maladie qui tienne debout. Quand j’annonce tout sourire et sur un ton réconfortant que tout va bien, j’ai presque droit à chaque fois à une mine déconfite, et à la fameuse demande “ewa 3tini doua dyal rass” (“au moins donnez moi de l’aspirine”). Impossible en fait de passer une consultation sans donner une plaquette d’aspirine au patient. Il ne partira pas, vous dira qu’il , ou sa soeur-mère-fille-grandpère-voisin a des fois mal a la tête et qu’il lui en faut absolument. Les marocains et l’aspirine, grande histoire d’amour.
Et choua dans l’histoire? (aka méchoui, bbq,) Et bien c’est juste pour la petite anecdote, qui en dit bien long sur la (non) conscience et la (non) perception de la maladie par les marocains. Hier au douar avait lieu la cérémonie de mariage de deux jeunes du quartier. Forcément tout le monde était invité. Grande fête à la marocaine avec comme tout mariage qui se respecte, la tonne de gâteaux biens sucrés et de plats bien gras et salés à souhait, les kilos de pain,le thé etc… Bref, si tu es au régime, mieux vaut ne pas y aller. Sauf que, ¼ des habitants du douar est soit diabétique, soit hypertendu, au moins, si ce n’est les deux à la fois. Ils sont suivis au dispensaire, et reçoivent gratuitement leur traitement. Qu’ils passent prendre après avoir récupéré la plaquette d’aspirine
Et puis ce matin, à la consultation diabeto, j’ai vu les glycémies à 2 ou 3 g/dL chez les patients jeun, les chiffres tentionnels étaient également au plafond frôlant les 22 cmHg . Je demande donc alarmée si ils avaient arrêté de prendre leur traitement, si il y avait un souci avec les médicaments parce que pour que tout le monde soit déréglé d’un coup c’est que quelque chose n’allait pas. Et eux se regardent du coin de l’oeil en souriant, pour qu’enfin une patiente éclate de rire et me dise “non, c’est juste qu’hier soir on était au mariage” comme si ça justifiait tout. Comme si leur santé ne valait pas assez pour qu’ils se fassent un petit casse croûte avant d’aller à la fête, qu’ils se retiennent , ou goûtent sans abuser. Non, c’est le mariage, point.
Alors moi au début ça m’a fait rire aussi, mais pas longtemps. Parce que je me rend compte de la légèreté avec laquelle ils prennent les maladies graves , ou qui pourraient le devenir si ils ne font pas attention. Mais ils continuent à venir demander de l’aspirine et des AINS en urgence. Parce que je vois aussi comment à chaque ordonnance donnée , les patients me regardent d’un regard de chien battu qui fait mal au coeur et disent “je n’ai pas l’argent pour acheter tel médicament, donnez moi juste ce que vous avez de disponible tant pis pour le reste” mais continuent à dépenser des milliers de dirham pour des cérémonies de mariage, ou pour acheter le mouton (j’en reparlerai de ce fichu mouton). La notion de priorité et de gravité n’est apparemment pas très claire dans leur tête. On dirait presque que c’est simplement un jeu pour eux, ou une habitude, un passe temps. Ils ne se rendent pas compte non plus qu’ils ont de la chance d’avoir accès gratuitement non seulement aux soins, mais également au traitement, mais qu’ils doivent faire un effort de leur côté aussi. Je ne comprend pas encore très bien,mais j’y suis encore pour un bout de temps. Quand j’aurais mieux saisi je vous en ferai part. Entre temps, portez vous bien, et si jamais vous avez besoin d’aspirine passez à l’hôpital de mon douar, on en a des cartons pleins.
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